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Une Belle Journée !

Une belle journée !

Michaël Pigache

 

Stéphane se sentait bien. La journée avait pourtant mal commencé, mais tout était désormais rentré dans l’ordre. Il jeta un rapide coup d’œil dans le rétroviseur intérieur. Ses passagers étaient calmes aujourd’hui. Certains s’étaient assoupis, d’autres scrutaient d’un regard vide la rue qui défilait, probablement perdus dans leurs pensées. Finalement, conduire ce bus avait un côté apaisant qui lui faisait beaucoup de bien.

Le feu passa au rouge. Stéphane arrêta le véhicule en sifflotant. Il se retourna machinalement. Une femme assise au premier rang le dévisageait, un sourire crispé au coin des lèvres. Un rayon de soleil illumina sa chevelure teintée de reflets roux.

- C’est une belle journée, n’est-ce pas ? demanda le chauffeur.

La jeune femme ne se départit pas de son sourire, mais resta silencieuse.

Le feu passa au vert. Stéphane haussa les épaules.

« Peut-être une étrangère… », se dit-il en enclenchant la première.

Le bus s’ébranla, faisant dodeliner de la tête les corps de certains passagers.

Au loin, Stéphane distingua un autre bus de la compagnie qui approchait. Il reconnut Loïc à son volant. Il avait commencé à sympathiser avec le jeune homme et le salua donc de la main en le croisant. Celui-ci ne lui rendit pas son salut, se contentant de lui adresser un regard hébété.

- Ca ne fait pas longtemps qu’il est dans la boîte. Il n’a pas dû me reconnaître… murmura Stéphane.

Le véhicule approchait du prochain arrêt. Une jolie brune en tailleur d’une trentaine d’années attendait patiemment sur le bord du trottoir, l’oreille droite vissée contre son téléphone portable dernier modèle.

Stéphane arrêta le bus à sa hauteur et en ouvrit les portes. La femme était vraiment d’une grande beauté. Aussitôt, une idée s’imposa dans l’esprit du jeune homme. Stéphanie l’avait lamentablement mis à la porte ce matin. Il l’avait pourtant choyée et portée aux nues, la considérant comme la plus belle femme ayant foulé la surface de la Terre. En voyant cette magnifique femme poser le pied dans son bus, il se dit que Stéphanie n’était finalement pas aussi merveilleuse, et qu’il méritait peut-être bien mieux. Et cette nouvelle venue était tout à fait à son goût…

- Bonjour, lui dit-il de son ton le plus enjôleur.

Elle lui rendit négligemment son salut, visiblement aspirée par la conversation qu’elle avait, peut-être avec son mari ou son petit ami.

Stéphane se  rembrunit.

Elle s’avança dans l’allée centrale, cherchant une place libre pour se poser et pouvoir continuer de converser avec son interlocuteur tout en étant plus confortablement installée.

- Vous avez votre ticket, madame ? demanda le chauffeur d’un ton sec.

La femme leva les yeux au ciel et fit demi-tour. D’une main, elle chercha dans son sac, tout en posant enfin son regard sur Stéphane qui sembla se matérialiser dans son univers.

Elle fit la moue en le scrutant de la tête aux pieds, prenant un air de plus en plus dégoûté. Elle se retourna vers les passagers et un air horrifié déforma son joli minois.

Je te rappelle, dit-elle d’une voix chevrotante à son interlocuteur téléphonique.

- Que se passe-t-il ? demanda Stéphane, interloqué.

- J’ai oublié mon ticket, bredouilla-t-elle. Vous voulez bien me faire descendre ?

- Si ce n’est que ça, je peux vous en vendre un…

- En fait, j’ai oublié mon portefeuille. Il faut vite que je retourne le chercher.

Sa voix devenait presque hystérique. Le chauffeur préféra ne pas insister.

- Bon, c’est vous qui voyez… répondit-il en actionnant l’ouverture des portes.

La femme s’empressa de sortir du bus d’un pas pressé, comme si sa vie en dépendait.

- Bizarre cette femme… dit Stéphane en s’adressant à la souriante étrangère du premier rang.

« Elle a fait une drôle de tête en me regardant », réalisa-t-il soudain.

Il regarda ses bras, son torse puis ses jambes. Il remarqua plein de petites tâches marron.

« Comment ai-je pu me salir comme ça… », se dit-il. « Je ne m’en souviens vraiment pas… »

Il scruta le soleil, qui dardait de ses rayons les bâtiments de la ville.

Il n’avait aucune idée quant à la provenance de ces petites tâches sombres, mais il s’en fichait. Rien ne pourrait venir gâcher une si belle journée…

 

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Marie était en retard.

Comme souvent…

Mais par une si belle journée, son patron serait peut-être de suffisamment bonne humeur pour ne pas lui remonter les bretelles…

Elle s’arrêta au feu rouge, chantonnant gaiement sur l’air qui passait à la radio. Son esprit vagabondait à la recherche d’une bonne histoire à raconter à son chef pour justifier d’être une fois de plus en retard.

Soudain, un bus passa devant sa voiture.

Rien de plus banal…

Pourtant, son regard croisa celui du chauffeur, et un frisson glacé lui parcourut aussitôt l’échine. Il avait les yeux écarquillés et arborait un sourire fou.

Un haut-le-cœur la saisit lorsqu’elle distingua l’intérieur du bus, à travers des vitres maculées de sang.

Dans ce véhicule de la mort, parcelle d’enfer débarquée sur Terre, des visages couverts d’hémoglobine, figés dans une expression de terreur, surplombaient des corps en charpie. Elle en remarqua même deux partiellement démembrés.

Une petite fille tenait fermement son ours en peluche tâché de sang. Elle avait le crâne fendu en deux et une matière grisâtre s’en échappait.

Un couple de personnes âgées s’étreignait désespérément, la poitrine et le dos lardés de dizaines de coups de couteau.

La tête d’un homme était posée à l’arrière du bus, tel un trophée, les lunettes de travers et un air surpris qu’il devrait garder pour l’éternité.

La vision d’horreur n’avait duré qu’une seconde.

Marie se demanda si elle n’avait pas été victime d’une hallucination.

Quel dommage. C’était une si belle journée…

 

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