Le Lac Noir

Le Lac Noir

Michaël Pigache

 

L’hélicoptère survolait la forêt depuis de nombreuses heures déjà.

-Vous êtes sûr que vous ne voulez pas arrêter là pour aujourd’hui ? demanda Eric, le pilote.

-Non, répondit Philippe Blache. Je sens que nous ne sommes plus très loin.

-C’est vous le chef… commenta Eric, même si l’on sentait qu’il n’était pas d’accord avec le cryptozoologue.

Guillaume ne put s’empêcher de sourire. Depuis qu’il le connaissait, il n’avait cessé d’admirer la détermination de Philippe, et il était fier d’être son assistant.

Blache jouait très gros sur cette affaire. Il avait enfin l’opportunité de démontrer au monde que la cryptozoologie n’était pas une pseudoscience, et qu’il n’avait pas gâché son talent dans de vaines recherches.

Soudain, son cœur fit un bond dans sa poitrine.

Une grande tâche noire venait d’apparaître au loin, au milieu des arbres.

Enfin, le fameux Lac Noir qu’il avait tant fantasmé se dévoilait sous ses yeux. Une tâche d’encre sur une feuille blanche. Une erreur de la nature…

-Vous voulez que je me pose à proximité ? s’enquit le pilote.

-Non, survolez-le, s’il-vous-plaît.

L’excitation était palpable dans la voix de Philippe.

Depuis une dizaine d’années, cette étendue sombre était la source de discussions enflammées au sein de la petite communauté de ceux qui chassaient les animaux extraordinaires. Deux hypothèses couraient sur son origine. La première voulait qu’il s’agisse tout simplement d’une nappe d’hydrocarbures à l’air libre. La seconde, sur laquelle Blache avait fondé tous ses espoirs, voulait que ce lac abrite une sorte de céphalopode géant qui libèrerait par intermittence de l’encre contenue dans une poche, comme cela existe chez la seiche, par exemple.

Le fait que tous ceux qui se soient approchés du lac n’en soient jamais revenus n’a fait qu’attiser l’intérêt des cryptozoologues, et sublimer l’envie de Philippe d’aller voir cela de plus près.

Le pilote dirigea l’appareil au-dessus de l’étendue noire. Soudain, l’hélicoptère fut pris d’inquiétants tremblements.

-Que se passe-t-il ?! s’inquiéta Blache.

-Comment voulez-vous que je le sache ? répondit Eric en tentant de rétablir l’engin. C’est comme si nous étions pris dans une perturbation…

Philippe jeta un coup d’œil vers le ciel, d’un bleu parfait. Aucun nuage à l’horizon.

-Le temps semble pourtant favorable, fit-il remarquer.

-Je le sais, et c’est bien ce qui m’inquiète ! Je vous conseille d’attacher vos ceintures. Je crois que nous allons devoir nous poser en catastrophe !

Les deux passagers s’exécutèrent sans broncher.

« Si j’avais su, j’aurais écouté mes parents, et j’aurais fait médecine… », pensa Guillaume.

Malgré les efforts du pilote, l’hélicoptère tanguait de plus en plus. Le front ruisselant de sueur, il tenta une approche pour poser l’appareil sur les rives du lac.

Sans raison apparente, l’appareil se mit alors à tourner sur lui-même, comme si l’un des moteurs avait rendu l’âme.

Le sol se rapprochait d’eux à une vitesse folle.

-Accrochez-vous bien ! Nous allons nous écraser !

-Quoi ?! s’écrièrent en chœur Guillaume et Philippe.

Ils n’eurent guère le loisir de développer car, à ce moment précis, la queue de l’hélicoptère heurta un arbre, ce qui propulsa violemment les trois occupants vers l’avant. La tête du pilote heurta le tableau de commandes.

Les choses s’enchainèrent alors très vite.

L’engin partit en piqué vers le sol, heurtant au passage les branches des arbres qui ralentirent sa chute. Il se stoppa finalement en position verticale, le nez de l’appareil pointant à moins d’un mètre du sol.

Sonné, Blache secoua la tête. Il lui fallu quelques secondes pour reconstituer la chronologie des évènements récents, et comprendre ce qui venait de lui arriver.

Il tourna la tête pour vérifier que son assistant n’avait pas été blessé, et grimaça sous la douleur.

-Tout le monde va bien ? demanda-t-il.

Le simple son de sa voix résonna étrangement à ses oreilles, comme si elle venait de très loin.

Un grognement à sa droite lui indiqua que Guillaume reprenait à son tour ses esprits.

-Que s’est-il passé ? murmura-t-il d’une voix faible.

-Je crois que nous sommes arrivés à destination… l’informa Philippe. Tu vas bien ?

Le jeune homme se tâta le corps, à la recherche d’une éventuelle source de douleur.

-Je n’ai rien, répondit-il, soulagé sur son état.

-Et devant, tout va bien ?! s’enquit Blache en haussant le ton.

Aucune réponse.

-Comment s’appelle le pilote ? demanda le scientifique à son assistant.

L’intéressé haussa les épaules.

-Aucune idée, je n’ai pas le souvenir qu’il se soit présenté…

-Bon, je vais voir s’il n’a pas besoin d’aide.

Blache détacha sa ceinture, son seul rempart contre la pesanteur, et vint s’écraser lourdement contre le dos du siège d’Eric.

-Pas trop de mal ? s’inquiéta aussitôt Guillaume.

-J’ai connu mieux. La journée promet d’être longue… répondit Philippe en soupirant.

Il se glissa à côté du pilote et releva sa tête, qui reposait toujours sur le tableau de commandes. Il l’avait cru simplement évanoui, et ne put réprimer une grimace devant le spectacle qui s’offrit à lui. En effet, malgré le casque qu’il portait, le visage d’Eric avait violemment frappé les instruments de commande, et il était couvert de sang.

Blache tenta de vérifier si le malheureux avait un pouls.

-Il est mort, annonça-t-il d’un ton solennel après quelques secondes.

Pour tout dire, cette mort l’arrangeait. Dans les circonstances actuelles, il ne se voyait pas s’encombrer d’un blessé. De plus, leur priorité aurait été de trouver rapidement du secours, ce qui aurait remis en cause sa tant attendue expédition, du moins temporairement.

-Mince… Et comment allons-nous rentrer ?

-Nous verrons en temps et en heure. Pour le moment, il faut que nous nous extirpions de l’appareil.

En réponse à son supérieur, l’assistant détacha aussitôt sa ceinture. Il avait bien retenu la leçon, et il se retint à ce qu’il avait à portée de main pour ne pas chuter lourdement, comme l’avait fait Philippe quelques secondes plus tôt.

Blache constata, d’un coup d’œil à travers le pare-brise, que le sol n’était qu’à quelques dizaines de centimètres d’eux.

-Passe-moi le matériel ! annonça-t-il à Guillaume, qui se trouvait toujours dans la partie arrière de l’hélicoptère.

Celui-ci regarda autour de lui, et aperçut le matériel de plongée.

-J’imagine que cet accident remet à plus tard notre exploration… Nous n’aurons donc pas besoin des bouteilles d’oxygène…

Le cryptozoologue lui lança aussitôt un regard noir.

-Et pourquoi devrions-nous remettre à plus tard l’exploration du lac ?

-Et bien, je ne sais pas, mais… bafouilla son assistant.

-Le pilote est mort, nous ne pouvons donc plus rien faire pour lui. Autant profiter du fait que nous soyons sur place pour y faire ce que nous avions prévu. Au moins, il ne sera pas mort pour rien. Nous trouverons un moyen de rentrer plus tard…

Guillaume préféra ne pas répondre et passa les bouteilles de gaz à Blache qui les jeta hors de l’appareil. Il savait que son chef attachait beaucoup d’importance à sa carrière, et il avait toujours respecté cela. Mais il n’aurait jamais imaginé que l’ambition le dévorait à ce point…

Légèrement ébranlé dans ses convictions, il fit ensuite passer à Philippe les tenues de plongée et les sacs à dos contenant des vivres, des boissons, des talkies-walkies, une fusée de détresse et des lampes-torches. Le scientifique jeta tout à l’extérieur de l’engin, au fur et à mesure.

-Il n’y a plus rien ? demanda-t-il ensuite.

-Non.

Blache se faufila alors hors de l’hélicoptère et se laissa tomber sur la terre ferme. Il récupéra l’un des sacs à dos qui trainaient sur le sol, et le positionna sur ses épaules. Ceci fait, il s’arrêta net.

Son regard venait de se poser sur le grand lac noir. Il était en partie caché par les arbres, mais il était bien là, à moins de cent mètres devant lui. Son cœur se mit à battre la chamade. Si tout se passait comme il l’entendait, il ne tarderait pas à avoir la reconnaissance à laquelle il aspirait tant.

Derrière lui, un son étouffé l’informa que Guillaume venait lui aussi de rejoindre le plancher des vaches. Le jeune homme imita son aîné et s’équipa d’un sac à dos.

-Voulez-vous que je prenne le matériel de plongée ? demanda-t-il.

-Non, laissons-le là pour le moment. Allons juste reconnaître les rives du lac, dans un premier temps.

Rongé par l’impatience, il ne pouvait attendre davantage, et se dirigea d’un pas rapide vers l’étendue sombre, suivi de près par son assistant.

Arrivés à destination, ils restèrent tous deux bouche bée devant ce prodige de la nature. Le lac faisait à vue d’œil environ un kilomètre de diamètre, et son eau était d’un noir parfait.

-C’est étrange, fit remarquer Guillaume après quelques minutes de contemplation silencieuse, on dirait qu’il n’y a aucune vie dans ce lac.

-Qu’est-ce qui te fait dire ça ?! s’écria Philippe d’un ton agressif.

Si son assistant avait raison, tous ses espoirs étaient réduits à néant.

-J’observe avec attention le lac depuis tout à l’heure, et je n’ai repéré aucun mouvement, aucune bulle remontant à la surface, rien. Même le vent ne semble pas troubler la surface de l’eau.

Blache devait se rendre à l’évidence : Guillaume avait raison. Finalement, tout ceci n’était peut-être qu’une nappe d’hydrocarbure géante. La déception commençait à poindre dans son esprit.

-Se pourrait-il que je me sois trompé ? murmura-t-il.

-Ne tirez pas de conclusion trop hâtive. Nous ne sommes encore sûrs de rien, dit le jeune homme pour tenter de le rassurer.

Philippe acquiesça et s’approcha du lac. Il devait en avoir le cœur net. Il se baissa et toucha de l’index la surface noire qui l’intriguait tant.

Le contact était froid et le liquide visqueux. Ce n’était pas de l’eau, mais ce n’était pas non plus du pétrole. Aucune odeur ne s’en dégageait.

Il tenta de retirer sa main, mais son doigt était comme collé à la surface noire.

-Qu’est-ce que c’est que ce bazar ?!

La panique commençait à s’insinuer par tous les pores de sa peau.

-Viens m’aider ! ordonna-t-il à Guillaume. Je n’arrive pas à retirer ma main !

Le liquide noir commença à grimper le long de son index, puis le long de sa main et de son avant-bras, se répandant sur lui comme une tâche d’encre sur du papier buvard.

Le jeune homme attrapa l’autre main de son aîné, et tira de toutes ses forces.

Malgré tous ses efforts, il ne semblait pas possible de libérer Blache de l’emprise de la substance noire qui l’engloutissait irrémédiablement. Pire, la substance semblait l’attirer lentement vers le lac.

-Non ! hurla Philippe. Fais quelque chose !

-J’essaie ! répondit le jeune homme, à bout de forces. Mais il n’y a rien à faire !

La matière noire poursuivait sa progression sur le corps de l’explorateur. Seule sa tête et ses pieds n’avaient pas encore été touchés.

Absorbé par son effort, Guillaume ne s’aperçut que trop tard que la main qu’il tenait venait d’être atteinte par la substance, et que celle-ci avait commencé à le contaminer à son tour.

Il tenta aussitôt de lâcher la main de son supérieur, mais elle était comme collée à la sienne. Il était lui-aussi pris au piège.

Alors que l’impitoyable substance noire commençait à grimper le long de son cou, Philippe décida qu’il ne servait plus à rien de lutter. Dans quelques secondes, tout serait fini pour lui. En cet instant, plein de choses se bousculèrent dans sa tête.

« Au moins, je sais maintenant pourquoi personne n’est jamais revenu d’ici… », pensa-t-il. « Je sais également que j’avais raison. Il y avait bien une sorte d’animal extraordinaire ici. Ce que je n’avais pas compris, c’est qu’il n’était pas dans le lac, mais que c’était le lac lui-même… »

De son côté, Guillaume luttait avec l’énergie du désespoir pour se tirer de ce traquenard. Il bandait tous ses muscles et poussait aussi fort qu’il le pouvait sur ses jambes pour s’éloigner du lac, mais ses pieds glissaient sur le terrain meuble, et la distance le séparant de l’étendue noire se réduisait à vue d’œil.

Quelques secondes plus tard, il ne restait plus de Blache qu’une informe masse noire. Dès que la substance noire l’eût entièrement englouti, il avait soudain perdu toute forme humaine.

Finir comme cela n’enchantait guère le jeune homme, mais il n’aurait plus à s’en faire très longtemps. La mort viendrait vite désormais.

Il ferma les yeux et attendit.

 

____________________

 

-Guillaume ! Tu es là ?! demanda Blache d’une voix angoissée.

L’intéressé ouvrit les yeux, mais resta dans le noir total.

-Je ne vois plus rien ! dit-il, paniqué.

-C’est normal. Je crois que nous sommes dans le lac. Aucune lumière ne peut filtrer à la surface.

-Nous ne sommes donc pas morts ?

L’espoir ressuscita dans l’esprit du jeune homme.

-Non. Il ne nous reste plus qu’à trouver un moyen de sortir d’ici…

Une idée frappa Guillaume : ils n’étaient pas les premiers à se faire piéger ainsi par le lac. Or, personne n’en était jamais revenu…

-Ca ne sera peut-être pas facile, puisque personne ne semble avoir été en mesure de s’échapper d’ici jusqu’à maintenant… rappela-t-il.

-C’est vrai, admit Philippe. Mais tous ceux qui ont été également aspirés par le lac sont peut-être encore ici. Ils pourront peut-être nous aider. Il ne faut pas perdre espoir…

Soudain, un cri bestial retentit à leur droite.

-Qu’est-ce que c’était que ça ? demanda Guillaume.

-Je n’en sais rien… répondit Blache.

Il se souvint alors que son sac à dos contenait une lampe de poche, et entreprit de s’en saisir.

Pendant ce temps, des bruits se firent entendre tout autour d’eux.

Des pas.

Des raclements de gorge.

Des grondements.

Des halètements.

Des crissements.

Des reniflements.

Des grattements.

Ils ne savaient pas quelle était la source de ces bruits, mais les bêtes qui les produisaient semblaient les encercler et se rapprocher rapidement.

Privés d’un de leurs sens, les deux hommes sentirent la peur s’insinuer insidieusement en eux.

La main légèrement tremblante, Philippe leva la lampe-torche qu’il avait extraite de son sac devant lui, et en actionna l’interrupteur.

Le rai de lumière salvatrice qui partit de la petite ampoule fut aussitôt accompagné de hurlements de douleur.

Là, en face d’eux, se dessina une vision d’horreur. Des dizaines de monstruosités blafardes se tordaient de douleur en fuyant la lumière. Elles ne ressemblaient à aucune des créatures connues des deux hommes. Leurs longs bras qui fendaient l’air en tous sens se terminaient par un enchevêtrement de griffes, pareilles à des couteaux de cuisine. En comparaison, leurs jambes étaient ridiculement petites. Ce qui, par élimination, semblait être la tête, n’était en fait qu’une protubérance percée d’une immense bouche remplie de dents pointues, ne laissant aucun doute sur le régime alimentaire de ces créatures. Certaines avaient d’ailleurs encore des restes suspects de repas entre les crocs.

Toutes ces créatures ne devaient pas avoir souvent l’occasion de se nourrir, et elles semblaient affamées. Leur intention était claire : faire un festin des deux nouveaux-venus.

-Oh mon Dieu… murmura Guillaume.

Philippe dirigea le faisceau de lumière vers lui et aperçut le regard fou de son assistant. Ces monstres étaient plus que ce que son esprit pouvait supporter. Pour se préserver, le jeune homme en avait fermé toutes les portes et avait avalé la clef. Il n’y avait plus rien à faire pour le ramener.

Blache essaya de le secouer, mais sans résultat.

-J’ai besoin de toi ! hurla-t-il. La lumière peut les repousser. On peut encore s’en sortir !

Le regard vide de Guillaume se posa sur son aîné qu’il respectait tant.

« Il y a peut-être encore un espoir… », se dit Philippe.

Il fouilla dans le sac à dos de son assistant et en sortit sa lampe-torche. Il l’alluma, la mit dans la main du jeune homme et la disposa de façon à éclairer dans la direction opposée à la sienne.

-Eclaire dans cette direction pour repousser ceux qui arrivent derrière nous, dit-il en lâchant la main du jeune homme.

De ce côté-ci, les monstres, non gênés par la lumière, avaient poursuivi leur progression. Ils n’étaient plus qu’à quelques mètres des deux explorateurs.

La proximité des créatures fit réagir Guillaume. Il poussa un cri inhumain et jeta sa lampe-torche en direction des monstruosités qu’il éclairait. Ceci fait, il partit en courant dans la direction opposée, droit vers la gueule du loup.

Surpris, Philippe n’eût pas le temps de le retenir.

-Reviens ! s’écria-t-il. Ne fais pas ça !

Le jeune homme fut rapidement dévoré par l’obscurité et disparut de sa vue.

« J’espère qu’il va s’en sortir… », pensa Blache.

En réponse à ses pensées, les cris d’agonie de Guillaume résonnèrent à ses oreilles. Un frisson lui parcourut l’échine.

Il inspira profondément pour reprendre ses esprits.

-Bon, tant que j’ai de la lumière, je ne crains rien, dit-il à voix haute. Le problème, c’est que les piles ne sont pas éternelles… Il ne me reste donc pas beaucoup de temps pour trouver une sortie.

Il avait abandonné l’idée d’obtenir l’aide d’éventuels survivants des précédentes expéditions. Il ne pouvait compter que sur lui-même pour se sortir de cet enfer.

Une idée lui traversa soudain l’esprit.

Il alla ramasser la lampe-torche de son assistant, en faisant reculer les créatures aussi loin qu’il le pouvait. Il devait rester vigilant, et ne pas leur permettre de s’approcher trop près de lui.

La lampe de Guillaume ne fonctionnait plus, mais il récupéra tout de même les piles. Elles pourraient lui accorder un petit sursis, le moment venu.

Ainsi équipé, il décida de partir à la recherche d’une issue plus heureuse que son assistant.

-Allons-y, dit-il d’un air déterminé en se mettant en marche.

 

Après plus d’une heure de marche en ayant suivi une direction aussi rectiligne que possible, Philippe s’arrêta. Le faisceau lumineux de la lampe s’était légèrement affaibli, mais les piles pourraient encore tenir un bon moment.

Ce qui l’inquiétait davantage, c’était l’environnement. Depuis son départ, mises à part les monstruosités qui ne le lâchaient pas, il n’avait rien croisé, pas même un rocher ou un léger relief. Le paysage était complètement désolé.

De plus, chaque fois qu’il se retournait pour les repousser, ses poursuivants semblaient être plus nombreux. Comme si de nouvelles créatures venaient en permanence en grossir les rangs…

-Ce n’est pas possible, dit-il en reprenant son souffle. J’aurais déjà dû atteindre les limites du lac. Il n’était pas si grand que cela…

Une autre explication se dessina dans son esprit.

-Et si je n’étais pas sous le lac… Si le lac n’était qu’une sorte de porte ou de sas donnant vers un autre monde…

Il réfléchit à ce qu’il venait de dire.

-Oui, c’est forcément ça ! Il doit donc y avoir une porte qui me permettra de faire le voyage dans l’autre sens…

Remotivé par ce nouvel objectif, il reprit aussitôt ses recherches.

Les créatures, qui attendaient patiemment leur heure, se déplacèrent avec lui, tel un cortège funéraire.

 

Quelques heures plus tard, le faisceau lumineux de sa lampe-torche avait sérieusement décliné, et Philippe n’avait toujours pas trouvé la moindre trace d’une éventuelle porte de sortie. La panique commençait à le gagner, mais il s’obligeait à rester maître de ses émotions. L’image de Guillaume courant droit vers les créatures, qu’il avait gravée dans son esprit, l’y aidait beaucoup.

Soudain, sa lampe s’arrêta. Dans l’obscurité totale, les monstres poussèrent aussitôt des cris, que l’on pouvait interpréter comme des manifestations de joie.

Blache donna aussitôt un petit coup sur la lampe-torche, qui émit à nouveau un très faible rayon lumineux. Malgré leurs jambes ridicules, les monstruosités avaient profité de l’occasion pour approcher à grands pas.

S’il ne voulait pas que tout s’arrête maintenant, le temps était venu pour Philippe de changer les piles de sa source lumineuse vitale.

« Je dois agir vite, ne pas paniquer, et ne surtout pas les faire tomber… », se répéta-t-il.

Il souffla un grand coup pour se donner du courage et mit les piles neuves dans la poche droite de sa veste afin de les rendre plus accessibles.

Il allait avoir à réaliser l’opération dans l’obscurité totale, et ne devrait donc pas se tromper de sens pour mettre les piles dans l’appareil. Il n’aurait pas le droit à l’erreur, car les monstruosités ne lui laisseraient certainement pas de seconde chance.

Il attrapa la lampe-torche dans sa main gauche, et en dévissa le culot de sa main libre.

L’obscurité l’engloutit aussitôt.

Il toucha du doigt les piles à l’intérieur et repéra que le pôle négatif était positionné vers le bas. Il retourna alors la lampe pour faire tomber les piles usagées et attrapa dans sa poche les nouvelles piles qu’il positionna dans le bon sens.

Il revissa ensuite le culot de la lampe en priant pour qu’il ne soit pas trop tard.

Un puissant rayon lumineux irradia aussitôt de la petite ampoule.

L’une des créatures se tenait juste devant lui d’un air menaçant. Un centième de seconde de plus, et elle l’aurait découpé en deux d’un coup de griffe bien placé. En guise de cela, elle recula vivement, dans un cri de rage mêlée de douleur.

Philippe fit un tour sur lui-même pour repousser toutes les créatures qui s’étaient avidement approchées.

-C’était moins une… dit-il d’une voix peu assurée.

Il se souvint alors que son sac à dos contenait des vivres.

Peut-être que les monstres affamés s’en contenteraient…

Avant de repartir, il décida de tenter le coup, et jeta toutes les denrées qu’il possédait vers ses poursuivants, qui avaient atteints un nombre record.

Ils ne manifestèrent pas le moindre intérêt pour l’offrande que Blache venait de leur faire. Leur attention était focalisée sur l’explorateur. Leur proie leur donnait peut-être du fil à retordre, mais cela ne semblait pas les décourager, bien au contraire.

Philippe sentit ses nerfs lâcher.

-Alors c’est comme ça ! s’écria-t-il. C’est moi que vous voulez ! Et bien, venez me prendre ! Qu’attendez-vous ?!

Il passa une main tremblante sur son visage.

Non, il ne devait pas craquer maintenant. Il restait toujours un espoir.

Il regarda la petite source lumineuse qui le rattachait encore à la vie.

-Cette fois, c’est ma dernière chance, dit-il en se remettant en marche.

 

____________________

 

Le temps s’écoula, implacable.

Epuisé, Blache ne marchait plus. Il se trainait.

Il ne savait plus combien d’heures il avait passé à errer dans ce paysage désolé, à la recherche d’une introuvable issue.

Peut-être n’y en avait-il même pas…

Ce monde était un tombeau d’où l’on ne pouvait s’échapper.

Autour de lui, des centaines de monstruosités trépignaient d’impatience, sentant que sa fin était proche.

La lampe-torche n’éclairait presque plus, et n’allait pas tarder à s’éteindre.

Il devait accepter son sort. Il avait été trop orgueilleux et il en payait maintenant le prix. L’idée d’aller explorer le lac noir avait été une folie. Comment avait-il pu croire qu’il serait plus malin que toutes les personnes disparues en l’explorant ?

Il était responsable de la mort du pilote et de Guillaume, et il n’allait pas faire de vieux os non plus.

Soudain, sans prévenir, le monde des ténèbres reprit ses droits.

Philippe laissa tomber la lampe devenue inutile. Il était prêt à accueillir la mort.

Le petit fil qui le rattachait encore à la vie le poussa à tenter de prolonger inutilement son existence de quelques secondes.

Autour de lui, il sentait les monstruosités s’agiter.

Il fouilla dans son sac à dos et se saisit de sa fusée de détresse : une fusée à parachute, à déclenchement par tirette.

Il la maintint au-dessus de sa tête et l’actionna.

Une vive lumière rouge en sortit aussitôt et alla illuminer brièvement le ciel.

Les créatures hurlèrent et se trémoussèrent pour échapper à la douleur qui les envahissait.

Et là, alors que l’obscurité reprenait déjà le dessus, Blache remarqua une dépression du terrain, à une centaine de mètres devant lui. Dans cette cuvette, il y avait une sorte de liquide.

Il n’eut aucun doute. Il s’agissait d’une porte.

Dans le noir, il ne put réprimer son fou rire.

  • Aucune note. Soyez le premier à attribuer une note !

Ajouter un commentaire

 
×